Les maux de la fin

Le 27 juin 2020, nous avons sorti un abécédaire sous une forme de petit livre qui parle du « COVID-19 et de cette fin du monde qui n’en finit plus de finir ». Il a été édité et imprimé en risographie par l’une des émanations de l’Anamorphose, Tambour Battant. Il est encore disponible à seulement 1,5€ (prix coûtant). Vous trouverez ci-dessous son avant-propos.

Introduction

La situation dans laquelle nous a propulsé le COVID-19 nous a semblée à la fois soudaine et inscrite dans un mouvement historique plus ample. Elle nous a surprise, comme quelque chose à laquelle on s’attend mais qui crée une torpeur, inévitablement. Elle a accentué des traits d’époque, que notre culture politique nous a fait fortement pressentir, tout en nous plongeant dans une certaine sidération.

À l’heure où nous écrivons, les centres commerciaux se repeuplent allégrement en France, alors même que la contamination n’a jamais atteint un tel seuil au niveau mondial. Malgré le fait que l’inédit de cette épidémie réside dans son caractère planétaire, la gestion nationale et son taitement médiatique entraîne un profond sentiment de décalage entre la vie quotidienne et les situations sanitaires des différents endroits du monde. L’épidémie est donc bien loin d’être terminée, malgré l’étrange parfum de retour à la normale qui succède brutalement au rythme du tweet compulsif, à celui des allocutions ministérielles et présidentielles, au tempo de la réouverture des bars et des écoles, par lesquels nous nous sommes sentis ballotés ces derniers mois. Ce recueil est un moyen pour nous de rassembler les quelques textes et émissions qui ont alimenté nos réflexions pendant le confinement et les semaines suivantes, afin de pouvoir les conserver, les agencer, se souvenir aussi qu’on en était là, à ce moment précis, dans nos têtes, garder la trace de l’évolution de nos pensées dans une période aussi floue et changeante, déstabilisante. Rien d’arrêté, donc.

À cet égard, l’objet papier nous a paru être un bon moyen de se déprendre du rapport pulsionnel et individualisant à l’information, et de la situation d’ « ermite de masse ». Nous comptons sur la matérialité du recueil pour que son partage se fasse d’emblée d’une manière politique.

Nous pensons que développer un lexique permet d’être un peu moins démuni.es face à ce bouleversement inédit. L’abécédaire, avec la contrainte de l’alphabet, a été une bonne méthode pour discuter des mots et des différentes significations qu’ils recouvrent, avec, pour la plupart du temps, l’appui de textes lus au fil du confinement. Il y a bien sûr le sens premier du terme, immédiatement dépassé par une définition lui donnant plus de profondeur, mais il y a aussi son appartenance à l’abécédaire, qui construit de fait une constellation et dessine une appréhension commune de la situation actuelle. Nous avons voulu reprendre des termes usités par le pouvoir pour les charger d’un autre sens, se pencher sur des mots érudits figurant dans les débats écologiques et métaphysiques en cours pour les faire sortir de leur engourdissement intellectuel, et explorer des mots qui n’avaient pas directement à voir avec la situation a priori, mais qui nous aidaient à saisir certaines conséquences de l’épidémie. Plus que des mots, nous avions aussi en tête au départ des significations, des expériences ou des idées à partager, et que l’on a faites entrer dans une lettre de l’alphabet.

L’anamorphose est restée fermée durant presque toute la durée du confinement, et cette fermeture nous a fait sentir l’impuissance dans laquelle nous plongeait le virus, ainsi que les politiques répressives – attestations, contrôles – mises en place pour y faire face. La réouverture du lieu début mai ne voulait pas s’inscrire dans une dynamique de retour à la normale, mais actait plutôt notre volonté de saisir à bras le corps les réflexions théoriques et pratiques que pose le COVID-19. En ce sens, ce recueil de textes est à prendre comme un outil, parmi d’autres que nous avons commencé à mettre en place pour faire face à cet état du monde : fabrication et distribution gratuite de masques en tissu, qui sont devenus un marché plus que lucratif, distribution de repas, tenue de cafés des alloc’s pour les galères d’allocations en tous genres, prêt de livres et impressions en masse pour les collectifs politiques alliés qui s’organisent dans la situation.

Le 27 juin 2020 à l’Anamorphose